« Il était une fois … Un ascenseur. »

Arnold West a toujours été un élève turbulent, vous aurait dit le proviseur. On l'avait tellement vu dans son bureau que plus rien de sa part ne nous étonnait. Plus rien, sauf ça.

* * *

Le couvre-feu était dépassé depuis environs trois heures. Il était tard. Tout était absolument silencieux, à Blue Hill. Arnold West se baladait donc le plus naturellement du monde dans les couloirs, comme le cancre qu'il était. Membre de la Section Artistique cependant doué dans l'art de la peinture, Arnold avait toujours eut un goût prononcé pour le risque. Et ce soir-là, malgré les évènements, il allait, déambulant silencieusement dans les couloirs, ombre furtive dans le couloir désert. Grand, respirant la joie de vivre, le jeune garçon de dix-sept ans était armé de sa lampe de poche et se plaisait à s'arrêter à chaque coin de corridor pour en épier les profondeurs. La seule chose qu'il avait croisé était le chat sauvage de son Aile. Il avait d'ailleurs entendu dire que Sherlock Holmes emménagerait à la chambre du second étage. Un sourire vint étirer ses lèvres. Beaucoup de gens étaient pressés de voir le grand détective débarquer ici, mais Arnold, quant à lui, n'était guère favorable à cette apparition. Un meurtre ? Non, bien sûr que non. L'élève avait simplement fuit en se blessant, ce qui expliquait selon lui la quantité incroyable de sang.

Arnold étouffa un éternuement dans sa manche. La nuit, malgré la saison, restait tout de même assez fraîche. Il renifla discrètement quand une lueur attira son attention. Il fronça les sourcils en se rendant compte qu'il était devant l'ascenseur hors-service de l'Aile Neutre. Il soupira quelque peu. Voilà ce que c'était de partir à l'aventure en pleine nuit sans faire attention à où l'on va : on se paumait et on se demandait ce qu'on faisait à tel ou tel endroit. C'était le cas du grand blond. Arnold fit volte-face et commença à rebrousser chemin.

Il s'arrêta quelques mètres plus loin. Puis éteignit sa lampe de poche. Et constata avec surprise qu'une autre source de lumière éclairait son chemin, bien qu'il l'éclipsait et formait une ombre allongée sur le sol en face de lui. Il se retourna vivement.

L'ascenseur était en marche. Mais n'était-il pas censé être en panne pour défaillance technique, justement ? Arnold grogna pour lui-même, mais s'avança tout de même. N'était-ce pas là non-plus que le "meurtre" avait-il eut lieu ? Le blond avançait à petits pas, comme s'il eut craint que l'ascenseur lui sautât dessus pour le dévorer. Il toucha délicatement la paroi de métal, mais retira vivement sa main, prudent. Rien ne se passa. Arnold se détendit alors. Et appuya sur le bouton.

Le système se mit en marche et il observa le compteur au-dessus de la porte de l'engin. L'ascenseur se trouvait actuellement au premier étage. Le jeune peintre fronça les sourcils. Pour un ascenseur hors-service, il le trouvait bien trop ... Actif. Car dans ses souvenirs, l'appareil avait calé au deuxième étage, un an auparavant.

La cabine s'ouvrit si soudainement qu'il en sursauta. Cependant, la lumière clignota, puis s'éteignit. Arnold pressa le bouton de mise en marche autant de fois qu'il le fallut pour qu'il se convainc que l'ascenseur était désormais à-nouveau hors d'état de marche.

« Hey, toi ! »

Il sursauta, sentant une main s'agripper sur son épaule.

« Oui, toi. Qu'est-ce que tu fais, là ? » demanda celui qu'il reconnut comme le surveillant de l'Aile Artistique.

L'homme en question possédait également une lampe de poche et abordait un air soupçonneux. Il regarda l'élève assez attentivement, puis soupira d'exaspération :

« Arnold West ... Encore toi. Tu ne t'es jamais demandé ce que ça faisait de se faire renvoyer dans son dortoir à coups de pieds ? Crois-moi, c'est pas bien agréable. »
« EH ! On appelle ça violence aggravée sur mineur ! Je peux porter plainte ! » se révolta Arnold en se défaisant de sa poigne.
« C'est ça, c'est ça. Retourne dans ton dortoir. Ta sanction arrivera demain. »

Arnold grogna pour lui-même, fit quelques pas décidés, puis :

« Monsieur ? »
« Qu'est-ce qu'il y a, encore ? » bougonna le surveillant.
« Cet ascenseur, pourquoi il est hors-service ? » demanda Arnold en se retournant vers lui.
« Défaillance technique. On ne l'a pas fait réparer depuis. » répondit l'adulte. « File, maintenant. »
« Alors vous m'expliquez pourquoi il vient de se remettre en marche ? »

Le surveillant resta muet, stupéfait, puis se secoua. Il éclata de rire.

« Pas possible, West, pas possible. Il ne marche vraiment plus. » rétorqua-t-il en se reprenant et en se frottant la nuque, un fin sourire aux lèvres.
« ... Si vous le dîtes. »

Arnold se détourna sans un mot de plus et fila dans la pénombre, rallumant sa lampe de poche, laissant le surveillant seul devant l'ascenseur. Il regagna son dortoir en dix bonnes minutes.

* * *

De son côté, le surveillant continua sa ronde avec un air détaché. Lorsqu'il eut tourné à l'angle, l'ascenseur trembla, ses lampes clignotant allègrement, ses portes se refermant sèchement. Il glissa dans la pénombre, grinçant quelque peu. Il s'arrêta plus bas et s'éteignit définitivement, dans un petit "ding" joyeux.